Christian David – avec la participation d’Alice Martin et de Yannick Humeau.
Le soleil darde de ses rayons ardents les murs ocre d’une bâtisse africaine, quelques enfants jouent. La scène se déroule à Bobo-Dioulasso, deuxième ville du Burkina Faso, aux allures de bourgade.
Soumana et Yannick ont terminé leur journée de travail. Aujourd’hui, ils ont parcouru la ville pour mobiliser la population afin que tous viennent participer au nettoyage du marigot, la rivière aux poissons sacrés qui traverse le vieux quartier central de Bobo. Le premier est burkinabé, le second français et, en dépit des apparences, ils sont jumeaux. Ces deux-là se sont trouvés, par-delà les frontières, abolissant les cultures, la couleur de peau et leurs vécus respectifs. Ils poursuivent désormais une aventure unique. Ils sont frères, un point c’est tout. Dès son premier séjour au Burkina, Yannick fut présenté à l’ancien du village, grand -père de Soumana. Ce dernier a tout de suite compris que la foudre était tombée entre eux. Le « vieux-père », réputé sage et clairvoyant, a confirmé l’amitié qui venait de naître. Plus que ça, il l’a appuyée, en adoptant Yannick comme son petit-fils, égal de Soumana à ses yeux. Ils furent désormais jumeaux officiels.
Tout a commencé en 2002. Un petit européen curieux, fonctionnaire du BIT à Genève ressent le besoin d’agir. Ce qu’il a appris, ce qu’il a lu, ce qu’il a compris et perçu. De quelle manière peut-il concrètement mettre en pratique ce que, confusément, il ressent comme essentiel à son parcours de vie ?
Une opportunité se présente, un élément déclencheur qui permet à Yannick de poser le pied sur le continent. Face aux souffrances des occidentaux, qui meurent de suicide, et celles des pays en développement, qui meurent de faim et de maladie, il se sent contraint d’intervenir. Mais comment faire pour participer sans assister, en considérant chacun comme un égal, avec dignité ? Après mûre réflexion, l’évidence apparaît : l’autonomie, la mutualité, la solidarité. Pour mettre ses théories à l’épreuve, il cherche une association et quelques semaines plus tard, il croise le chemin du « paradis ». A deux pas de chez lui, à Genève, un ami l’invite et lui présente l’association, qu’il rejoint aussitôt. Tout le monde est d’accord, les projets en cours au Burkina Faso doivent devenir autogérés par la population locale et ne plus être sous subvention dans un délai de 3 ans.
Une fois les détails fixés, soit deux ans plus tard, Yannick arrive sur place. Il rencontre Soumana, le lien est scellé. Le choc culturel n’existe pas, les contacts s’effectuent naturellement, la complicité s’installe avec les habitants de Bobo.
La situation dans le vieux quartier est extrêmement précaire. Tout est à faire. Le premier projet est d’autofinancer l’école avec des ateliers de formations. (transport, couture, bois..) Ensuite vient la voirie, et le nettoyage du marigot.
En dix jours seulement, durée du premier voyage, le projet global est lancé, et le prochain rendez-vous est pris, quelques mois plus tard.
Il est de retour à Genève, il faut travailler et nourrir sa famille, son travail l’intéresse, il est administrateur réseau. Pourtant une partie de son cœur et de son esprit sont définitivement ancrés là-bas.
Plusieurs fois par an, il se rend au Burkina Faso, dans cette famille avec laquelle il partage tout. Quelques pièces du puzzle s’assemblent et se complètent pour aboutir à une évidence : les habitants de la bourgade de Bobo-Dioulasso possèdent une capacité latente à l’autonomie, il faut juste trouver une méthode et une approche adaptée afin de les en convaincre eux-mêmes. Chacun possède en effet une connaissance intime de son territoire et il importe de la mettre en avant pour déterminer comment l’exploiter et l’offrir à tous.
C’est ainsi que naît en 2009, sa propre association afin d’héberger son projet basé sur l’autonomie qu’il travaille inlassablement et met en pratique partout où il peut. Son approche tâtonnante s’affine avec le temps et valorise chaque fois davantage l’humain, la géographie, l’économie tout en respectant les cultures locales, leurs traditions et leur dimension spirituelle, de manière toujours pragmatique. Cette approche, rapidement qualifiée de « territoriale » gagne en cohérence et se structure. Les processus, quelle que soit la situation, sont souvent les mêmes.
Toutes les couches de la société sont sollicitées à partir de ce modèle : les anciens, les femmes, les hommes, la jeunesse. Tous se réunissent pour la mise en place d’un projet concerté entre eux et non plus imposé par une tierce entité qui, malgré ses bonnes intentions ne possède pas une réelle connaissance des réalités du terrain. Et puis, quoi de plus motivant sur le long terme que la fierté d’avoir construit un projet en toute autonomie ?
De sa rencontre avec Alice, elle-même très impliquée dans la démarche écologique et humaniste, naît un livre (disponible sur le site http://raisingautonomy.org/). Elle n’a cessé d’encourager celui qui est devenu son mari (ils se sont mariés à Bobo)
Les retours en Suisse leur permettent ce recul, ces discussions avec des amis dans cette nébuleuse que constitue la Genève internationale. Des rencontres se succèdent, ils confrontent leurs expériences, partagent, apprennent, améliorent leur vision avec des conseils de spécialistes qu’ils peuvent trouver dans tous les domaines qui peuvent servir leur recherche. Cette somme d’expériences présente sur place est en effet un véritable vivier où il suffit de pécher et se servir. Quelques-uns sont réticents mais la plupart peuvent aisément donner un conseil, apporter une idée ou guider vers une nouvelle piste.
Outre la mise en place du schéma d’autonomie avec le fonctionnement des ateliers mécaniques, couture, culture de céréales, vente de bois et atelier de construction de meubles, une école, une bibliothèque, un dispensaire ont été financés, remboursés , l’argent est réinvesti dans un autre projet du même type.
Existe-t-il une cohérence entre Genève, le travail local et l’autonomie ? (exergue)
- Et si les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) prônés par le Secrétaire général de l’ONU étaient en effet parfaitement compatibles et parfois même incontournables de cette démarche d’autonomie locale ?
- Et si la pauvreté, l’éducation, l’autonomisation des femmes, la mortalité infantile, la santé maternelle, le combat contre les maladies, l’environnement et le développement ne pouvaient pas se mettre en place correctement sans que les populations concernées ne soient véritablement parties prenantes et interviennent avec leur savoir-faire, leurs traditions et la connaissance de leur environnement ?
- Et si la perception, par la population mondiale de ce que peuvent apporter l’ONU et les organisations notamment présentes à Genève, passait par la combinaison entre une aide directe non imposée, accompagnée à chaque fois par l’expertise locale et surtout par la motivation d’une population qui veut devenir autonome ?
- Et si la manière d’apporter une aide de l’ONU, des organisations des ONG prenait davantage en compte cette approche au lieu parfois d’imposer une vision formatée au détriment de l’expertise locale et de l’ « écoute du territoire »?
Yannick et sa petite équipe vont repartir, continuer leur quête et tenter de convaincre et de partager, avec l’aide de quelques bonnes volontés. Les Nations Unies ont lancé la décennie sur les déserts et la lutte contre la désertification 2010–2020. En 2010 ,122 pays ont voté pour une convention que l’accès à l’eau soit classé en tant que droit de l’homme. En cette période de changement inexorable du climat, l’accès à l’eau potable ne pourra être apporté que si les populations se sentent impliquées dans ce qui constituera le défi du siècle.
Alors, autonomie ? Suite au prochain épisode !