Anthologie des Poètes de la Cité (1997-2007) : Florilège genevois, paru aux éditions Slatkine en 2009. Rémi Mogenet, écrivain, membre associé de l’Académie de Savoie.

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Il serait ridicule de dire qu’en particulier à Genève, se côtoient le pire et le meilleur, car il en va ainsi de tous les lieux de la Terre. En revanche, cette cité cosmopolite, accueillante et tournée vers le monde entier, a pour remarquable particularité d’allier à cette tendance profonde une tradition propre, nourrie de ses environs, tant suisses que français. L’anthologie des Poètes de la Cité parue récemment aux éditions Slatkine sous le titre Florilège genevois en est une magnifique démonstration.International Newspapers
Cette situation impliquant, en effet, l’acceptation de la diversité, mais aussi du principe de l’unité globale, la liberté de ton des poètes ainsi que leur variété sont sans pareilles : il n’y a aucune idéologie ou école philosophique ou esthétique dominante clairement établie ou obligatoire.
Toutefois, un thème revient fréquemment : le devoir d’ouverture aux étrangers et la condamnation d’une société qui les rejette. Pour le reste, on retrouve les thèmes habituels à la poésie : l’amour qui corrompt ou sauve (selon les cas), la beauté de la nature, le foisonnement des cités, les joies terrestres, les aspirations célestes, l’éloge des sens, la louange adressée aux dieux, les complaintes sur le temps présent ou le temps qui passe trop vite, le regret du temps passé ou la célébration de la modernité, la douleur de la perte et les espoirs de résurrection : rien ne manque.
Rien ne fut jamais imposé, aux Poètes de la Cité, sur un plan moral, idéologique, philosophique ou religieux, et toute expression libre a été saluée comme pleinement légitime, si elle était pensée comme poétique par son auteur. En aucun cas, par exemple, on n’y retrouva l’idée que m’a livrée un jour un éditeur parisien, selon laquelle invoquer Jésus-Christ était contraire à l’esprit même de la poésie. Mais, à l’inverse, invoquer les joies de l’amour charnel ne put pas y être davantage considéré comme proscrit !
Comment faire converser, écrire et vivre ensemble des sensibilités aussi dissemblables, c’est sans doute le secret d’une Genève fraternelle et ouverte à la fois sur les autres et sur soi-même. Mais pour approfondir cette présentation du Florilège genevois, je voudrais en livrer en quelques lignes la diversité effective, sur un plan à la fois formel, figuratif et générique. La poésie des Poètes de la Cité est parfois en vers classiques. Denis Meyer affecte les formes fixes médiévales, et Rémi Mogenet pratique volontiers le sonnet, lui-même. Georges Brosset crée des poèmes de facture également classique, imitant, peut-être, les moralistes anciens, et Georgina Mollard aime les vers d’inspiration lamartinienne bien frappés. La rime est regardée pareillement avec bienveillance par Linda Stroun-Ichay. Enfin, Galliano Perut oscille entre le vers classique et le vers blanc.
Cependant, la plupart aiment les vers simplement rythmés, blancs ou libres. Certains (Bakary Bamba, Jean-Martin Tchaptchet, Marianne Charlotte Mylonas-Svikovsky dite Marlo) s’aident de procédés de répétition, pour donner de l’ampleur à leur souffle, pour retrouver le style de la litanie, et embrasser de leur âme l’univers entier. L’énumération est utilisée dans le même esprit par Sandra Coulibaly – se livrant en successions de perceptions préalables à toute pensée chez Anne de Szaday. Les rythmes, indispensables à la poésie, sont ainsi assurés par les éléments nommés, qui soit reviennent soit se succèdent dans une régularité de métronome !
Un autre procédé, pour créer du rythme, est celui du vers court, chéri de Roger Chanez, Jeannette Monney, Ibolya Kurz, Josymone Sauty, Émilie Bilman : la pensée étant elle-même mesurée – comme fragmentée -, la parole se scinde en parties à peu près égales, et on entend sa musique.
Mais le vers complètement libre – la règle cédant sous la force de l’expression telle que spontanément elle naît – se décèle également chez Yann Chérelle, Albert Anor, Dorothée Schepens, Colette Giauque et Laurent Collet.
Enfin, Régina Joye a choisi la prose poétique.
Le poètes sont plus ou moins imagés. Certains aiment évoquer les fées, les dieux et les anges, comme dans les vieilles mythologies (voyez R. Joye, R. Mogenet, G. Perut), ou créer des mondes mystérieux et hermétiques (Y. Chérelle, E. Bilman), ou bien se focaliser sur des objets insolites et des figures idéales (L. Stroun). La tendance à l’image bizarre, reflétant l’absurde et liée au surréalisme, existe également chez plusieurs poètes (A. Anor, D. Schepens).
L’esprit du voyage en ce monde physique est naturellement présent chez ces poètes qui viennent des quatre coins du monde (voyez J.-M. Tchaptchet, I. Kurz, A. de Szaday).
La nature est également évoquée avec émotion (G. Mollard, B. Bamba), ainsi que les villes, européennes ou non (chez L. Collet, J.-M. Tchaptchet, Y. Chérelle), et Genève et la vie quotidienne dans notre région le sont pareillement (R. Chanez, G. Brosset).
Les sujets peuvent être philosophiques ou de nature essentiellement morale (C. Giauque, D. Meyer), ou faire l’éloge de la vie des sens (Marlo). L’amour est bien sûr présent partout, soit sous sa forme charnelle, soit au travers des liens conjugaux et familiaux, soit dans un sens moral élevé – celui qu’on voue au prochain et au Père éternel !
Quant au ton des poètes, il est surtout lyrique. Ils crient leur amour de la beauté, de la vie, de l’esprit même de l’univers. Mais parfois, il se fait élégiaque, quand la vie passée est regrettée, ou quand reviennent les souvenirs de chers disparus. Il peut se faire polémique, quand la société est dénoncée dans ses travers, ou tragique voire apocalyptique, quand la condamnation du monde des hommes est contiguë à l’espoir d’un monde meilleur. L’épique et le mythologique sont également présents, quand les vers se posent comme dévoilant des mystères : l’appel à la méditation, ou à la vision, n’est pas loin.
L’enseignement, toutefois, peut se faire de façon plus directe, et la poésie se fait alors didactique, exposant soit une philosophie de la poésie elle-même, soit des pensées sur la nature des relations entre hommes et femmes, soit une doctrine de la vie sociale orientée vers le mystère de la volupté – ou vers celui de la rédemption.
Le recueil est donc d’un foisonnement impressionnant. Les poètes s’expriment tous avec cœur, tâchant généralement de porter leur pensée et leur âme plus loin que la vie ordinaire, s’élançant sur leurs mots comme ils feraient sur un tapis volant ! Arme de défense contre le Mal ou de conquête du Bien idéal – du Rêve enfin réalisé -, la poésie en général triomphe plus, dans le livre, qu’aucun poète en particulier, et il n’est pas un poète authentique qui ne tende à s’en réjouir…