Dans le couloir étroit de la grandeur musicale gisent quelques compositeurs de génie : Rodrigo, Rachmaninov, Mahler, Wagner et quelques autres conducteurs d’orchestre fous, tous morts, savourant leur gloire et les milliers de reprises que perpétuent en leur mémoire les grands orchestres à travers le monde, dans des salles de musée appelées salles de concert, tandis qu’il existe un géant grec, vivant, que demain attend avec impatience, Vangelis.
Vangelis vient de signer en mai 2012 une relecture de son hymne à la grandeur sportive de tous les temps, Chariots Of Fire. Jamais Hugh Hudson qui réalisa le film éponyme en 1981 ni l’Angleterre ne pourraient rêver à cette époque d’un impact universel si percutant ni d’une telle gloire musicale planétaire. Il est vrai que Vangelis remporta un oscar pour sa bande originale de la musique du film et que son thème principal de 1981, Titles, a été l’hymne d’un nombre inouï d’événements sportifs et d’autres de foire également, faisant le bonheur des éditeurs du disque et l’objet de plusieurs rééditions.
Le film narre l’exploit de deux sportifs anglais pendant les jeux olympiques de 1924 à Paris, Eric Liddell et Harold Abrahams que tout les sépare. Abrahams court pour la gloire tandis que Liddell court pour Dieu. Hors stade, les deux athlètes conquièrent l’éternité et la reconnaissance de leur pays et du monde sportif, mais reste l’émotion de les voir sur écran courir, douter, tomber, se relever, gagner pour courir encore, pour l’honneur ou pour la foi. Qu’importe le motif qui les anima, seul l’impact de leur volonté demeure gravé dans les mémoires. Cet impact se décline, souverain, à travers la musique de Vangelis. Le film remporta un succès bien mérité en son temps et demeure une référence de taille pour le cinéma britannique. Je laisse l’analyse cinématographique aux spécialistes, persuadé que je suis que ce film sans cette musique aurait un autre destin.
Musique visuelle, tout l’élan humain y prend forme. L’espoir, la persévérance, la foi et la rage de vaincre qui seraient vains sans la déception de l’échec, le doute. Vangelis se plonge dans le mystère humain pour nous décrire l’infinitude de cet élan indescriptible. 31 ans après sa première version, il confirme son talent rare, comble aussi notre plaisir d’admirer ces chariots de feu qui se disputent une gloire éphémère certes mais ô combien porteuse d’exemple pour les hommes. Force est de constater que cette refonte musicale a été conçue à l’occasion de la présentation à Londres de Chariots Of Fire The Play1, la pièce de théâtre qui fait écho au film avant, pendant et après les récents Jeux olympiques de Londres. Vangelis choisit de doter son oeuvre d’une orchestration plus dense, plus riche en percussion, en arrangements et en sonorités.
Les puristes et les inconditionnels de Vangelis semblent avoir salué puis boudé cette œuvre depuis sa création. Au mieux l’ont–ils relégué au rang d’icône célèbre. Ils ont eu tort. Vangelis a étonné le monde avec plus de 70 créations originales pour la scène, le film et le disque depuis 1962, lui l’enfant prodige de cette Grèce si lointaine des Forminx, d’Irène Papas et des Aphrodite’s Child et j’en passe. Qu’ils soient rassurés. Mythodea2, El Greco3, Alexander4, Rhapsodies5, Private Collection6 et surtout Blade Runner7 demeurent des moments musicaux inoubliables, pour ne citer que ces créations d’exception.
Est-il possible de décrire la musique d’un tel homme ? Impossible. Saisir l’impact de cette unique émotion suffit. Quelle est la raison de ce frisson que l’auditeur, avisé ou pas, sent dès les premières notes ? Un appel à se mouvoir vers une destination invisible : l’océan, l’espace, l’ailleurs, l’univers ? L’essentiel réside dans cet appel à se surpasser qui touche au cœur et ramène son lot d’émotions. Toute la force de la musique de Vangelis et sa grandeur sont là : une sensation extraordinaire qui abolit les frontières entre passé, futur et présent. D’ailleurs, tout moment présent s’éclipse, l’enjeu étant de jalonner le futur avec des retours fulgurants dans le passé.
Ainsi Vangelis, le timide et discret artisan de la musique qui ne l’a jamais appris à l’école suit sa voie vers l’éternité. Encore un monument grec d’un humanisme rare que nous admirons avec bonheur et humilité. Les hommes s’en souviendront, les étoiles aussi !
Alex Caire *
1. sur scène londonienne depuis mai 2012, Chariots Of Fire The Play, coproduite par Hugh Hudson, est présentée au Gielgud Theatre à Londres jusqu’au 10 novembre 2012. A noter que Sir John Gielgud a joué un rôle secondaire dans le film Chariots Of Fire dirigé par Hudson en1981 2. Mythodea- 28 juin 2001, Temple de Zeus, Athènes, Grèce. Evocation musicale de la mission de la Nasa pour Mars, avec Jessie Norman, Katelyn Battle et plusieurs virtuoses – CD et DVD Sony Classics 3. El Greco, CD 1995, 1998 et musique du film El Greco, 2007 4. Alexander, CD et DVD, film d’Oliver Stone, 2004 5. Rhapsodies, CD avec Irène Papas, 1986 6. Private Collection, CD avec Jon Anderson, 1983, dont quelques reprises dans Page Of Life, avec Jon Anderson, 1991 7. Blade Runner, meilleur SF du XXème siècle, film de Ridley Scott, 1982, CD 1994 et 2007 et plus de 9 versions cinématographiques de 1982 à 2007 en VHS, LD, DVD et Blu-Ray
* Extrait du Temps perpétuel * Le Temps perpétuel, Alex Caire, tous droits réservés, Horus Editeur, 2012