Indiens infortunés que j’ai vus errer dans les déserts du
Nouveau-Monde avec les cendres de vos aïeux…
Chateaubriand
Les Indiens d’Amérique du Nord continuent de fasciner. Héros de nos jeux d’enfance, des westerns hollywoodiens, personnage de bandes dessinées, l’Indien est une figure mythique sur laquelle nous avons, nous autres « Visages Pâles », projeté nos rêves de mondes sauvages, d’espaces infinis, de communion avec la nature. Des rêves de liberté, de justice aussi, car le sort des Indiens n’a jamais cessé de nous émouvoir. C’est de tout cela qu’il est question au Château de Penthes qui expose Yakari, Les Suisses à la rencontre des Amérindiens.
On sent bien que cette fascination est aussi celle de Camille Verdier, commissaire de l’exposition, qui a découvert un jour que les auteurs de la fameuse bande dessinée des aventures de l’Indien Yakari, Derib et Job, étaient suisses. Et que trois des meilleurs artistes qui ont peint la vie amérindienne au 19e siècle, Karl Bodmer, Frank Feller et Rudolph Friedrich Kurz, l’étaient aussi. Il n’en fallait pas plus pour que ces Suisses dans le monde trouvent logiquement leur place dans le musée qui leur est consacré au Château de Penthes situé aux environs de Genève, non loin des Nations Unies.
L’itinéraire commence par la présentation d’objets de la vie quoitidienne des Indiens des Plaines (vêtements, coiffes à plumes, sacs, pipes, ceintures et mocassins). Ce sont en effet ces derniers qui ont inspiré les artistes dont nous allons parler plus loin. Il y a en particulier un très beau porte-bébé perlé conçu comme une sorte de petit traîneau rigide que les femmes portaient sur le dos ; une magnifique peau de bison peinte de scènes de guerre ; et une très curieuse pipe-tomahawk.
La salle suivante est consacrée aux peintres suisses américanistes ou indianistes. Il y a chez eux – comme plus tard chez le fameux photographe américain Curtis (non exposé ici) – un sentiment d’urgence : il faut témoigner de la civilisation indienne avant qu’elle ne disparaisse. Bodmer, Feller et Kurz, ne sont donc pas seulement des peintres et des dessinateurs, ils endossent le rôle d’ethnologues, d’explorateurs, de documentalistes. Malgré un souci d’objectivité, ils sont toutefois emportés, eux aussi, par leurs rêves et leur fascination : le monde indien est ainsi théâtralisé, mis en scène, ou illustré de manière romanesque. Scènes de batailles (chez Bodmer et Feller) ; Indiens posant (ou dansant) dans leur plus beau costume (chez Bodmer) ; couple romantique (chez Kurz). La photographie signera la fin de l’époque de ces peintres, même si Curtis, qui va leur succéder, mettra lui aussi « en scène » la vie des Indiens. Une de ses plus belles photos a pour titre « The vanishing race », « la race qui disparaît », un titre qui en dit long.
Objets et peintures proviennent essentiellement du NoNaM, le Nordamerika Native Museum de Zurich, un des seuls existant en Europe ; et du Bernisches Historisches Museum.
La partie la plus importante de l’exposition est consacrée à Yakari, le petit Sioux de Derib et Job, qui sait parler aux animaux et chevauche son poney Petit Tonnerre (que l’on retrouve sur l’affiche de l’exposition où l’on voit Yakari faire une belle démonstration de ses talents équestres devant … le Château de Penthes !). Est retracée toute l’origine de cette bande dessinée, son immense succès international
( Yakari a été traduit en 24 langues), avec une sélection d’une quarantaine de planches originales. Le parcours est didactique et attrayant, conçu pour les plus jeunes qui pourront, grâce un petit carnet d’exploration, tester leurs connaissances sur les Indiens et apprendre quel est leur totem.
L’exposition se clôt sur la série de Celui qui est né deux fois, des albums dans lesquels Derib démontre qu’il n’est pas seulement un grand dessinateur pour jeune public, mais également un digne descendant des peintres indianistes.
Jean-Michel Wissmer
Exposition : Yakari, Les Suisses à la rencontre des Amérindiens. Château de Penthes, Musée des Suisses dans le monde, 18 chemin de l’Impératrice, 1292 Pregny-Chambésy, Genève. www.Penthes.ch. Jusqu’au 31 janvier 2016.
Voir aussi notre article sur une exposition Bodmer qui avait eu lieu à Zurich : http://www.internationaldiplomat.com/culture/le-reve-americain-de-karl-bodmer/