L’art à Genève au XXe siècle

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Les éditions Slatkine viennent de publier un ouvrage de Gilbert Frey : Regard sur l’art à Genève au XXe siècle (1900-2010).
L’excellente introduction de l’auteur rappelle les particularités de Genève, la « plus petite des grandes villes », notamment l’influence de la Réforme protestante sur les Arts, la floraison de bâtiments nouveaux à la fin du XIXe siècle, et l’ouverture de cette ville internationale au monde.International Newspapers
Le livre comprend neuf parties, chacune consacrée à un art différent (l’architecture, la littérature, la musique, etc.). Chaque partie commence par une introduction, toujours très bien documentée et qui saura sans nul doute séduire le lecteur (l’introduction à l’architecture signée Paul Marti est la plus complète et la plus réussie). Suit la sélection des personnalités retenues. C’est là bien sûr qu’il y aura quelques grincements de dents, ce dont l’auteur est parfaitement conscient : « Certains diront : quelle audace ! Comment peut-on s’attribuer la compétence de choisir ‘objectivement’ certaines personnalités plutôt que d’autres […]. Seront donc cités prioritairement celles et ceux qui sont parvenus à dépasser une reconnaissance locale […] ». Parlons donc un peu de quelques uns de ces malheureux « oubliés » : en architecture, les « Michel-Ange » du Heimatstil (un style helvétisant issu de l’Exposition nationale suisse de 1896 à Genève) Henri Garcin, Charles Bizot ou Léon Bovy ; en littérature, Catherine Fuchs et Jean-Michel Olivier ; en peinture Francis Portier et André Kasper ; pour le théâtre, Roberto Salomon et le Théâtre en Cavale. Et permettez-moi une note très personnelle, l’oubli de mon oncle Pierre Wissmer (1915-1992), professeur au Conservatoire et l’un de nos plus grands compositeurs, un Genevois qui correspond parfaitement aux critères de sélection de Gilbert Frey, dépassant de très loin la « reconnaissance locale ». Et pour rester dans la musique, Gabriel Garrido, chef d’orchestre d’origine argentine, grand redécouvreur de la musique baroque latino-américaine et fondateur de l’ensemble Elyma basé à Genève, aurait mérité plus qu’une ligne dans l’introduction à cette partie.
Autre problème de taille : qui est Genevois et qui ne l’est pas dans une ville de passage comme Genève qui accueille tant de personnes de l’extérieur (de la Confédération comme du monde entier) ? Certains, surtout les Hollandais et les Argentins, pourraient s’étonner, par exemple, de « l’appropriation » de Bram Van Velde ou de Jorge Luis Borges, même si le premier séjourna effectivement pendant douze ans dans notre ville, et que le deuxième a étudié à Genève, qu’il y est décédé et qu’il aimait profondément cette ville. Font aussi leur entrée les chorégraphes sud-américains Oscar Araiz et Guilherme Botelho et le Russe George Balanchine, ainsi que le grand écrivain autrichien Robert Musil qui vécut les quatre dernières années de sa vie à Genève. Mais Frey a une réponse toute prête : « Pour les étrangers, il convient de ne pas tenir compte de leurs origines, mais de l’influence qu’ils ont exercée localement et s’interroger sur les raisons qui les ont incités à venir s’établir à Genève plutôt qu’ailleurs ». Difficile aussi de faire un choix parmi ceux qui sont à cheval sur deux siècles comme ce fut le cas d’un absent de marque, le peintre Otto Vautier (1863-1919), Genevois d’adoption. D’un autre côté, et c’est une bonne chose, les lecteurs découvriront des noms peut-être moins familiers comme ceux de l’affichiste Auguste Viollier, du céramiste Jean Dunand ou du compositeur Arié Dzierlatka. Dans la partie encyclopédique, chaque article est signé par un spécialiste différent. Les « stars » comme Hodler, Ansermet, Bouvier ou même Poussin ont droit à de très belles pages, d’autres – et pas des moindres, comme Albert Cohen (encore un autre célèbre Genevois d’adoption) – à une colonne ou à une petite vignette. On l’aura compris, faire un choix a dû constituer un impossible casse-tête pour Frey qui avoue avoir mis plus de quatre ans pour rédiger cet ouvrage qui – à sa décharge – aurait doublé de volume s’il avait voulu satisfaire tout le monde. Mais alors, pourquoi pas une encyclopédie en deux tomes ? Reste qu’il s’agit sans aucun doute d’un livre indispensable pour tout Genevois ou habitant et amoureux de cette ville qui en découvrira l’extraordinaire richesse culturelle et artistique. L’auteur y a recensé, dit-il, « près de 200 lieux de culture, de formation artistique et de spectacle ». Ceux qui habitent cette cité savent à quel point l’offre y est exceptionnelle pour une petite ville « de province ». Magnifiquement illustrée cette belle encyclopédie mérite de trouver sa place dans chaque bibliothèque genevoise en attendant, peut-être, que les « oubliés » fassent leur apparition dans une prochaine édition.
Jean-Michel Wissmer
Photo : couverture du livre : copyright : Gilbert Frey, Regard sur l’art à Genève au XXe siècle (1900-2010), Editions Slatkine, 2011.