Ce temple, c’est l’histoire d’une vie et d’une œuvre, celles de Karl Bickel (1886-1982). Ce Zurichois fut à la fois peintre, sculpteur, graphiste et dessinateur renommé de timbres-poste. Il fut aussi un travailleur acharné et un rêveur idéaliste. S’il est encore mal connu du grand public, c’est que l’on ignore souvent le nom des créateurs d’affiches publicitaires (les siennes, dans le style Art déco, sont pourtant admirables), de catalogues de mode ou de timbres. Quant à son œuvre majeure, le Paxmal, le moins que l’on puisse dire, elle qu’elle se mérite. Cachée dans le renfoncement d’une falaise à Schrina-Hochrugg aux pieds du massif des Churfirsten à 1300 mètres d’altitude, on l’atteint à partir de Walenstadt dans le canton de Saint-Gall, bourgade connue p
our la beauté de son lac vert émeraude et ses comédies musicales en plein air (Heidi, Guillaume Tell) qui attirent les foules en été. Après avoir emprunté une petite route en lacets et avoir cheminé au milieu des alpages, on découvre au détour d’un sentier le temple qui étonne par sa situation et son caractère monumental.
Nous voici arrivés au Paxmal.
Ce monument, qui ressemble à un temple néoclassique (certains pourraient lui trouver un petit air mussolinien, nous sommes, il est vrai, à la même époque), mais revu sur le mode helvétique et décoré de mosaïques, a une belle histoire. En 1913, Bickel est atteint d’une sévère tuberculose. Il doit alors passer une année au sanatorium de Walenstadtberg. Guéri, il décide de remercier la providence qui a entendu ses vœux en offrant au lieu qui lui a sauvé la vie un temple de la paix, le Paxmal. Il y consacrera 25 ans de son existence, entre 1924 et 1949.
Le style des mosaïques qui s’étendent de part et d’autre sur les murs qui encadrent le portique est symboliste et fait penser à l’art de Ferdinand Hodler. Sur le mur Ouest, l’artiste a représenté le monde physique, le couple et la naissance, aboutissant à une scène de famille à l’intérieur du temple ; sur le mur Est – le plus impressionnant – on découvre la vie intellectuelle et spirituelle débouchant sur la communauté élargie des hommes, la société, représentée par différents personnages : des membres de la famille Bickel, l’artiste lui-même, Hodler et, au centre, le grand pédagogue suisse Heinrich Pestalozzi. Quant à la mosaïque centrale dans ce que l’on pourrait appeler le naos, elle figure un couple âgé, accomplissement et achèvement de la vie. Entre les piliers on admire encore de beaux motifs animaliers.
Tout un programme iconographique hautement symbolique qui veut résumer la vie, l’Homme et la société.
Quand on reprend le petit sentier qui ramène à la route au milieu des alpages, on croise troupeaux et chalets, un décor digne de Heidi ! Et si l’on s’assied un instant sur le banc qui domine toute la vallée, on est saisi par la beauté du paysage et le panorama qui s’étend à l’infini, offrant comme une vue aérienne sur la région jusqu’à Bad Ragaz et le Liechtenstein. Un lieu idéal pour la contemplation. L’Office du tourisme du Heidiland a même classé ce site parmi les « Orte des Staunens », les « lieux d’émerveillement » où l’on peut puiser une nouvelle énergie vitale et minérale. Certains viennent même s’y lancer en parapente !
Une visite à conseiller du printemps à l’automne. Redescendus dans la vallée à Walenstadt, on peut encore compléter sa visite par le Musée Bickel (ouvert les vendredis, samedis et dimanches après-midi), installé dans une ancienne usine textile et qui propose des expositions consacrées au créateur du Paxmal et à d’autres artistes contemporains.
Texte et photos : Jean-Michel Wissmer