Le 22 janvier 2016, -soit deux jours après son arrivée au Burundi -, Samantha Power, l’instigatrice du voyage est furieuse. Le président burundais, Pierre Nkurunziza, n’a pas daigné la recevoir à Bujumbura, la capitale. Ni elle, l’ambassadeur des Etats Unis auprès des Nations Unies, ni ses collègues. Elle s’était pourtant donnée un mal de chien pour que le déplacement initialement prévu en décembre dernier, alors qu’elle détenait la présidence du Conseil de sécurité, ait lieu. Contre l’avis des autres membres qui traînaient les pieds. C’est à Gitega, à plus de 2 h de route de Bujumbura que le Président a exigé de les rencontrer. Deux heures d’une route pas très accueillante, même s’il avait fait placer tout au long de la route un comité d’accueil composé de burundais réquisitionnés pour la circonstance, et porteurs de pancartes sur lesquelles on pouvait lire: “Pas besoin de vous”, “la paix règne au Burundi”, “Nous ne voulons pas d’intervention étrangère,” ou encore “laissez les burundais initier leur propre dialogue”. Un peu avant, lorsque les membres du Conseil avaient émis le désir d’utiliser l’hélicoptère de la Monusco (Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo) pour rejoindre Gitega, le président leur a dit non, -pour des motifs de sécurité- « Il voulait qu’on voit ses pancartes que nous n’aurions pas vues depuis l’hélicoptère, » commente un participant au voyage.
Les diplomates sont-ils parvenus à faire entendre raison au président burundais ? Samantha Power, qui s’est entretenue avec lui, a bien tenté de lui expliquer qu’il lui fallait accepter un dialogue inclusif et arrêter les tueries de masse. Il ne s’est pas démonté pour autant et lui a répondu que dans son pays, il y avait déjà un dialogue interne. Il s’est même permis de faire un peu d’humour : « Pour le reste, la violence et les tueries, vous avez pris la route pour venir me voir. Vous avez bien vu qu’il y a la paix partout.”
Ban Ki Moon devrait se rendre à Bujumbura les 24/25 février prochain. Nkurunziza l’accueillera comme il l’a fait avec les membres du Conseil. Il n’a rien à craindre de la Communauté internationale. Il sait qu’elle n’exercera aucune pression sur lui. Il sait aussi que l’opposition burundaise est profondément morcelée, et qu’elle n’a pas le moindre objectif politique à court et à long terme. Pourtant, la crainte d’un coup d’état qui serait fomenté par les militaires est bien réelle. La colère gronde dans leurs rangs, d’autant plus que leurs salaires viennent d’être réduits. Pour se dédouaner, le président leur a promis qu’ils allaient effectuer des rotations de 6 mois en Somalie ou en Centrafrique. (5,000 militaires burundais sont actuellement déployés en Somalie). Pas vraiment un cadeau lorsqu’on sait que c’est la mission la plus mortifère qui soit. (150 Kenyan sont morts le mois dernier.) Ils devraient être payés 1,250 dollars par mois au lieu des 100 dollars qu’ils perçoivent dans leur pays. Ce qu’il a omis de leur dire, c’est que l’Union Européenne, qui jusqu’à présent payait les salaires des troupes burundaises stationnées en Somalie, les versait directement au gouvernement burundais. Ce qu’elle a cessé de faire. L’EU est en train d’étudier un moyen de verser les salaires directement aux militaires, sans passer par le gouvernement.
Dans une lettre adressée au Secrétaire Général, le président burundais lui a fait savoir qu’il acceptait l’envoyé spécial pour le Burundi, Jamel Benomar. Un anglo-marocain qui fait l’unanimité contre lui. « Y compris parmi les français, » explique un fonctionnaire. Nommé par le Secrétaire général il y a trois mois, Benomar ne s’est rendu au Burundi que trois fois et son équipe ne comporte pour l’instant que 12 personnes, dont certaines, -parmi elles, son conseiller principal, un américain,- ne parlent pas français ! Dans un pays francophone, comment parviendront-ils à communiquer avec les autorités, sans parler de la population ? Benomar, qui avait dans un premier temps, envisagé de recruter des locaux, a dû rapidement abandonner l’idée. « probablement sous l’impulsion des américains, » avance un membre du Secrétariat. Le mandat qui lui a été confié par la résolution 2248 du Conseil de Sécurité, l’oblige à faire rapport au Conseil tous les 30 jours. « Comme il n’y a pratiquement personne qui parle français sur le terrain pour lui expliquer ce qu’il s’y passe, il n’a rien à dire, » s’indigne un expert. Pour compliquer un peu plus les choses, Jamel Benomar n’a aucun accès à l’Union Africaine qui n’a pas caché qu’elle ne voulait pas de lui. Auparavant, il avait été l’envoyé spécial de Ban Ki Moon au Yémen. Les rumeurs disent qu’il a dû démissionner, faute d’avoir accompli le travail qui lui avait été confié, et qu’il aurait reçu le Burundi comme lot de consolation.
Les quatre présidents africains : le mauritanien, le sud-Africain, le gabonais, le sénégalais ainsi que le premier ministre éthiopien, tous désignés par Idriss Deby, devraient tenter, vers la fin du mois de février, de convaincre le président burundais d’accepter le déploiement d’une force d’interposition sur son sol. En attendant, les français aimeraient envoyer une centaine d’observateurs. L’Union africaine en a déjà neuf. « Sans moyen de locomotion et sans téléphone, ils ne pourront rien faire, » admet un diplomate.
Avec un taux de croissance négative, (-5% en 2015 selon la Banque Mondiale) Pierre Nkurunziza ne pourra pas tenir longtemps les rênes d’un pays en déliquescence. . Les caisses de l’état sont vides. A New York, devant l’incapacité pour la mission burundaise de payer ses arriérés de loyer aux ougandais qui les accueillent dans leur immeuble, le Qatar vient de faire un don de 200,000 dollars à la Mission burundaise. Le Burundi, qui n’a pas payé ses cotisations à l’ONU depuis 2 ans, a perdu son droit de vote à l’Assemblée générale. Pour pouvoir voter, il aurait dû payer le minimum, soit 1,360 dollars. Les contributions annuelles du Burundi aux Nations Unies s’élèvent à 24,000 dollars tandis que ses contributions aux opérations de maintien de la paix sont de 9,000 dollars. Pierre Knurunziza, cet homme qui aurait voulu exploiter les tensions ethniques de façon à créer la peur, se retrouve aujourd’hui sur un siège éjectable. Si les cinq négociateurs africains rentrent bredouilles, il aura laissé passer sa dernière chance. D’autant que le Rwanda vient de décider de trouver un pays tiers pour accueillir les réfugiés burundais –bien que la Ministre des Affaires étrangères rwandaise ait annoncé il y a moins d’une semaine, que son pays voulait les garder. Un revirement qui n’est pas dû au hasard. Le Rwanda est conscient que la crise burundaise expose et fragilise tous les dictateurs de la région.
Le département des opérations du maintien de la paix a élaboré des plans d’urgence en vue d’une présence potentielle des Nations Unies au Burundi dont le mandat serait sous chapitre VII, (qui autorise l’usage de la force) après accord du pays hôte, et la volonté des pays fournisseurs de troupes qui pour l’instant, ne manifestent pas trop d’empressement. Ce qui ne peut que réjouir Pierre Knurunziza.
Celhia de Lavarene Janvier 2016