C’est l’événement de la rentrée culturelle ! Philippe de Champaigne, l’un des plus grands peintres – même si ce n’est pas le plus connu – du XVIIe siècle français, le Grand Siècle, celui de Corneille, Racine et Molière, vient faire un tour dans nos murs. C’est le genre d’exposition où les queues s’allongeraient indéfiniment devant le Grand Palais de Paris (en plus, il n’y a pas eu de rétrospective de son oeuvre depuis plus d’un demi-siècle …). Ici, au Musée Rath de Genève, vous rentrerez sans problème pour découvrir “Philippe de Champaigne (1602-1674) – Entre politique et dévotion”.
Le titre est excellent : il résume en deux mots la carrière d’un peintre qui a servi aussi bien la Cour que les ordres religieux. Marie de Médicis, Richelieu, Louis XIII, Anne d’Autriche, d’un côté, le Carmel, les Chartreux, Port-Royal, de l’autre. On a le sentiment de voir défiler toute l’histoire de France, mais c’est Port-Royal avant tout qui est incontournable. Cette abbaye, foyer principal des jansénistes, marquera le siècle, et sera finalement détruite par Louis XIV. Le jansénisme est une doctrine que l’on pourrait qualifier de calviniste par son pessimisme en regard de la nature humaine et sa doctrine de la prédestination : seul Dieu peut nous accorder sa grâce et seul Lui décide par avance de notre salut. Bien des intellectuels de la France d’alors avaient opté pour cette religion sévère et exigeante, à l’opposé de l’esprit et de la pompe jésuites.
Racine fut élève aux Petites Écoles de Port-Royal, et Pascal fut le meilleur porte-parole des jansénistes, décrivant dans ses “Pensées”, l’une des oeuvres majeures de la littérature française, comment un libertin, joueur et peu soucieux de son âme, ne peut faire autrement que de “parier” pour Dieu. Philippe de Champaigne est souvent considéré comme LE peintre de Port-Royal. Après le décès de sa femme et de son seul fils, il confie l’éducation de ses filles au couvent janséniste, et l’aînée y prendra le voile. Il peindra tous les plus hauts dignitaires de cette congrégation dans un style empreint d’un classicisme épuré et austère, à l’image de la doctrine.
Cependant, comme les organisateurs de l’événement ont voulu le souligner, Champaigne ne se limite pas, tant s’en faut, à cette réputation, et le visiteur pourra admirer aussi bien des paysages d’inspiration flamande (le peintre est né à Bruxelles), des scènes religieuses au souffle baroque, que des portraits d’apparat et des figures de saints. L’exposition est d’ailleurs un parcours chronologique qui nous permet de suivre toute l’évolution du peintre, et donc d’apprécier toutes les facettes de son talent et de ses influences.
Difficile d’échapper à la fascination qu’exerce sa palette aux couleurs vives et pastels à la fois qui imprime un relief presque surnaturel aux personnages de ses toiles.
Chaque tableau est une évocation puissante du monde religieux ou du monde politique. Parfois les deux se mêlent comme dans “Le Voeu de Louis XIII” où l’on voit le roi agenouillé remettant sa couronne et son sceptre à la Vierge et au Christ dans une action de grâce pour les remercier des succès remportés contre les armées espagnoles. Champaigne peint aussi les parlementaires frondeurs comme Omer II Talon, au regard pétri d’intelligence, portrait qui est non seulement une sublime étude de draperies aux couleurs écarlates, mais également une véritable étude psychologique. Sa peinture est aussi une réflexion sur l’art de l’image qui a nourri bien des débats à son époque. Le jansénisme ne fut pas aussi extrême que le calvinisme et ne rejetait pas la représentation comme le prouvent les portraits des religieux de Port-Royal, une Cène d’une grande rigueur de composition, un bouleversant Christ mort, et un Moïse qui indique toutefois avec son doigt sur les tables de la Loi l’interdiction de fabriquer des idoles et des images taillées. Intéressante mise en garde pour un grand peintre religieux et très dévot de surcroît ! L’histoire personnelle de Philippe de Champaigne est aussi bien présente dans ses oeuvres, en particulier lorsqu’il s’agit de sa relation avec Port-Royal. Deux des plus beaux tableaux de l’exposition, Saint Jean Baptiste et La Madeleine pénitente, ont été peints pour sa propre fille qui avait pris le voile dans le couvent janséniste en 1657. Sans tomber dans le culte des images, ces toiles devaient lui servir de sujet d’adoration et de méditation.
Elles se complètent à tout point de vue : le féminin et le masculin, l’intérieur et l’extérieur, le geste d’ouverture et le repli. Le Saint Jean Baptiste de Champaigne est une oeuvre exceptionnelle, et ce n’est sans doute pas un hasard si elle sert d’affiche à l’exposition. Le saint (qui a peut-être les traits du neveu du peintre), la bouche entrouverte et le regard perdu dans une autre dimension, indique la silhouette fantasmagorique du Christ dont il est le prophète. Son message apparaît enroulé autour de son baton d’ermite : “Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde”. Comme on le voit, difficile de détacher la peinture de Philippe de Champaigne de son contexte religieux et politique. Cependant, le visiteur pourra aussi voir cette exposition comme une magistrale leçon de peinture, et les amoureux de la nature et des animaux seront enchantés par certains détails exécutés dans la plus pure tradition du réalisme flamand. L’étonnant petit chat blotti dans la cheminée de L’Annonciation, le mouton de L’Adoration des bergers, la tulipe de La Vanité, l’étonnante lune de La Vision de sainte Julienne, et l’extraordinaire éclipse du Christ mort sur la croix, sont autant d’exemples du génie et de la sensibilité de ce peintre souvent mal connu, et qui vous attend au Musée Rath jusqu’au 13 janvier.
Jean-Michel Wissmer
Exposition : “Philippe de Champaigne (1602-1674). Entre politique et dévotion”. Musée Rath, Place Neuve, Genève. Ouvert de 10 à 17 heures, le mercredi de 12 à 21 heures (fermé le lundi). Jusqu’au 13 janvier 2008.