Interview de Youssoufou Bamba, le nouveau Représentant permanent de la Côte d’Ivoire auprès de l’ONU

Youssoufou Bamba

Youssoufou BambaYoussoufou Bamba, 60 ans est diplomate de carrière. Depuis le 29 décembre 2010, date à laquelle il a présenté ses lettres de créance au Secrétaire général de l’ONU, il est le nouveau Représentant permanent de la Côte d’Ivoire auprès de l’ONU. Avant ce poste, M. Bamba était, depuis janvier 2007, Ambassadeur de son pays en Autriche et Représentant permanent auprès de l’Office des Nations Unies à Vienne. Le premier poste de Monsieur Bamba à New York, remonte à 1983, date à laquelle il avait été nommé Conseiller à la Mission permanente de la Côte d’Ivoire, fonctions qu’il a assumées jusqu’en 1988.
Q : La polémique est vive depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo car beaucoup contestent sa légitimité, estimant qu’aucune disposition de la résolution 1975 ne donne autorité à l’ONUCI pour le détenir, ou détenir des membres de sa famille ou ses collaborateurs. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon a assuré que les forces de l’ONU, appuyées par la force française Licorne, avaient agi en respectant strictement leur mandat tel que défini par le Conseil de sécurité, qui consiste à protéger les populations civiles. Que leur répondez-vous ?
YB : C’est un faux débat et je pèse mes mots, ce sont des amalgames fantaisistes.
Q : Fantaisiste dans quel sens ?
Il n’y a aucune rationalité dans cette polémique. Je pense que c’est une façon de faire diversion, d’essayer de déplacer le débat, et surtout le sujet. Je m’explique : parmi les dispositions de la résolution 1975, il est stipulé qu’il faut, par tous les moyens, confisquer, se débarrasser des tanks, des armes lourdes, des Roquettes B21, aussi appelées « orgues de Staline » dont les forces de Monsieur Gbagbo se sont servies pour massacrer les populations civiles. La mise en œuvre des dispositions de la résolution a permis à l’ONUCI, appuyée par la force Licorne, de les détruire. C’est le premier point. Le deuxième point, et il ne faut pas l’oublier, c’est que le président Ouattara a été élu, et reconnu par la communauté internationale, ainsi que par les institutions auxquelles la Côte d’Ivoire appartient : la CEDEAO, l’Union Africaine et l’ONU. A ce titre, il est le chef suprême des armées qui, dans leur mission de protéger les populations civiles, ont commencé l’offensive. Les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire sont arrivées sur Abidjan, -de l’Ouest, de l’Est et du Centre du pays-, pour protéger les civils, et avec pour objectif de déloger celui qui a usurpé le pouvoir qu’il a perdu par les urnes. M. Gbagbo étant dans une logique de confiscation du pouvoir, il s’est imposé en mettant en place un régime de terreur et en utilisant des armes lourdes contre la population. M. Gbagbo a été arrêté par les forces républicaines de Côte d’Ivoire dont le devoir est d’assurer l’ordre public, pas par l’ONU dont ce n’était pas le rôle.
Q : Est-ce votre réponse au Président Medvedev qui prétend que l’ONU devrait servir de médiateur et en aucune circonstance, aider une des parties ?
YB : Absolument. L’ONU, via le Conseil de Sécurité, peut et doit, lorsqu’il y a des actes d’agression, des situations qui peuvent faire peser des menaces sur la paix et la sécurité, intervenir. La résolution 1975, sous chapitre 7, a donné à l’ONUCI un mandat précis : celui de protéger les populations civiles. Or, comment voulez-vous les protéger si vous ne confisquez pas, si vous ne détruisez pas les tanks et les armes lourdes qui sont utilisées contre des civils. Toutes les ressources de la médiation ont été épuisées, non seulement par l’ONU, mais par l’Union Africaine et par la CEDEAO. L’ONU a même imposé des sanctions pour amener Monsieur Gbagbo à plier. Je répondrai ceci à Monsieur Medvedev : il y a quatre mois, si Monsieur Gbagbo avait répondu aux injonctions de l’ONU et aux différentes médiations de la communauté internationale, ne pense t’il pas que beaucoup de vies humaines auraient été épargnées ? C’est, à mon sens, le seul vrai débat.
Q : Les défis qui attendent le président Ouattara sont nombreux : situation sécuritaire précaire – règlements de comptes, représailles, scènes de pillage-, situation économique catastrophique. Pourtant, dans le même temps, votre président vient de déclarer qu’il entendait pacifier le pays d’ici un ou deux mois. Croyez-vous qu’une réconciliation nationale soit possible en si peu de temps ? Bien des pays qui sortaient de conflits ont tenté de le faire, sans succès : la Bosnie, le Rwanda pour ne citer qu’eux.
YB : Le Président, mais aussi l’ensemble des ivoiriens, vont devoir faire face à des défis importants. Le premier, c’est la restauration de l’ordre public et de la sécurité. Le président a prononcé un discours d’apaisement et de fermeté. Tous les généraux en charge des différentes forces ont fait allégeance, et le président, – ceci est très important, les a reconduits dans leurs fonctions. Il y a une continuité au sein d’un pilier important, l’armée, qui n’a pas été démantelée. Les différents chefs des unités sont restés et ont demandé à leurs hommes de reprendre le service. Au niveau de la police, six secteurs sont déjà opérationnels, notamment la brigade anti-émeute, les piquets de sécurité, la gendarmerie. Le corridor de sécurité dans la région d’Abidjan a été réactivé et les patrouilles sont visibles dans la ville, et un peu partout à l’intérieur du pays. Le président a appelé à ne pas faire justice soi-même. Il a été ferme sur les pillages, et particulièrement ferme et sévère pour ce qui concerne les exactions sur les populations civiles ou les règlements de compte qui seraient le fait des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire. Aucun débordement ne sera toléré. Le Premier ministre et le ministre de la défense ont donné des instructions claires à ce sujet. C’est la fin de l’état de belligérance. Tous les gendarmes, militaires, tous les policiers ont répondu à l’appel et ont rejoint leurs unités respectives. Toutes les personnes qui ne font pas partie des forces régulières, et qui détiendraient des armes, sont invitées à les déposer dans les commissariats, dans les gendarmeries ou sur les lieux de rassemblement des forces régulières. Si elles ne le font pas, elles seront arrêtées et condamnées. C’est le premier défi.
Le second défi, c’est la situation humanitaire. La police participe au ramassage des corps. Le nettoyage de la ville d’Abidjan, la réouverture des ports, celle de l’aéroport international et le retour de la sécurité sur les routes, permettent la circulation des personnes et des biens, l’acheminement des secours et l’assistance aux personnes déplacées ainsi qu’aux réfugiés. Beaucoup de personnes commencent à revenir chez elles. Les médicaments sont disponibles puisque les pharmacies commencent à être réapprovisionnées. Les marchés le sont aussi. La veille sanitaire a été réactivée. On surveille, bien entendu, l’épidémie de cholera et de méningite. Le président de la république a donné ordre à la Banque Centrale d’alimenter les banques commerciales – à cet effet, il a nommé hier, le directeur de la banque centrale. Par conséquent, le processus pour un retour à la normalisation de la vie quotidienne des populations ivoiriennes est en cours. Le troisième défi, et non des moindres, c’est la réconciliation nationale. Cela suppose la vérité. La vérité suppose la justice et la justice, le pardon. Pour que cela se fasse, on va mettre sur pied rapidement, la commission ‘Justice, Vérité et Réconciliation’ qui sera un processus d’introspection collective en vue de parvenir à la restauration de la cohésion sociale. C’est un chantier gigantesque, mais nous allons puiser dans nos ressources intérieures. Ce qui fait la particularité des ivoiriens, c’est que nous sommes follement épris de paix, que nous avons cette capacité de tourner en dérision les pires difficultés de la vie. Nous sommes pour l’hospitalité, le brassage des cultures. Pour compléter, j’aimerais préciser que cette crise n’est pas comparable à celle de la Bosnie ou d’autres pays, dans lesquels les crises avaient pris leurs racines dans des antagonismes séculaires. En Côte d’Ivoire, la crise est le fait d’une personne : M. Gbagbo qui a instrumentalisé la haine de l’autre, de l’étranger. Lorsqu’il est venu au pouvoir, il n’a rien trouvé de mieux que de réveiller les démons de la division, de la préférence nationale. Son groupe a distribué des armes aux jeunes patriotes, au lieu de leur donner des emplois. Les torts doivent être étalés au grand jour. Les victimes doivent faire face à leurs bourreaux. Chacun a commis des erreurs. Nous devons tout mettre sur la table, pardonner et reconstruire notre pays. Réconcilions-nous avec nos valeurs fondamentales.
Q : Je ne sais pas si vous avez vu les images qui sont passées en boucle sur toutes les chaines de télévision, sur l’arrestation de Laurent Gbagbo et de sa femme. On avait l’impression que le peuple n’osait pas trop s’en prendre à lui, alors que la haine suscitée par Simone Gbagbo était palpable. Qu’en pensez-vous ?
YB : Il est regrettable que nous en arrivions là. Je confirme que l’ancien président a été traité avec respect et dignité. Il a été le chef de l’état, il a un statut et ce statut doit être respecté, et c’est ce que le président de la république a réaffirmé. Pour ce qui concerne Simone Gbagbo, le peuple s’est souvenu des propos qu’elle a tenus, du langage de haine qu’elle a toujours professé. Les crimes qui ont été commis relèvent de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre. Il faut qu’on sache que lorsqu’on est à la tête d’un pays, on a le devoir moral d’orienter la société vers l’équilibre, et non vers la destruction. C’est un exemple qui doit être montré à tous ceux qui ont des responsabilités, non seulement en Afrique, mais dans le monde entier. C’est l’état de droit qui va se construire à partir de ces éléments là. Toutes les exactions qui ont été commises doivent être examinées quels que soient les partis qui les ont commises.
Q : A propos de M. Guillaume Soro, ex-chef du gouvernement de Gbagbo et Coulibaly, ex-chef des FRCI, ses forces auraient tué et violé des centaines de personnes à Duekoue. Pas vraiment de quoi réjouir le chef de l’état. Comment va t’il se sortir de cette ornière ?
YB : Nous ne cherchons pas à cacher les choses. Les élections en cote d’ivoire ont été les plus transparentes, les plus fiables, les plus crédibles, donc les plus démocratiques qu’il y ait jamais eues, non seulement en Côte d’Ivoire, mais en Afrique. Le produit d’un tel processus a été suivi par le monde entier qui depuis considère notre pays comme le laboratoire de l’émergence de la démocratie. Le monde entier veut voir comment l’état de droit va se décliner, comment les droits de l’homme vont être respectés. La justice se fera dans les règles de l’art. Il faut que les enquêtes qui vont être faites respectent les standards. Il faut que les accusions portées soient confirmées par une enquête judiciaire, non seulement nationale mais internationale. Le président l’a réaffirmé. Nous avons accueilli avec satisfaction l’enquête internationale, décidée par la Commission des droits de l’homme à Genève. Trois commissaires ont été nommés. Des contacts se poursuivent avec la cour pénale internationale pour qu’elle puisse identifier les crimes qui relèvent de sa compétence. Au plan interne, le président de la république a demandé au ministre de la justice de donner des instructions au procureur pour que les auteurs de crimes soient traduits devant la justice. Quel que soit leur parti. J’ai dit dans mon discours devant le conseil de sécurité, que le respect des droits de l’homme et le règne de l’état de droit, sont au cœur des préoccupations du gouvernement ivoirien. Il va y avoir une réforme des institutions pour permettre l’exercice de l’état de droit dans le quotidien des ivoiriens. Tous ceux qui ont commis des crimes répondront de leurs actes devant la justice. Afin que les gens comprennent que personne n’est au-dessus des lois.
Propos recueillis par Célhia de Lavarène, New York, le 14 avril 2011